Les archives Traces : Première collective des archives lesbiennes de Montréal (1982-1983). Te souviens-tu ?

Invitation à l’ouverture des Archives Traces en 1983.

« J’ai la mémoire qui flanche, j’me souviens plus très bien ». C’est ce que Zaïda me répond quand je lui écris pour lui demander si elle se souvient que nous avions mis sur pied en 1982-1983, avec Danièle et Bernice, la première collective montréalaise des Archives lesbiennes. « Et toi me répond-elle? », « Moi ? je me souviens des heures passées chez vous sur Laurier à rédiger des fiches pour classer les documents recueillis au Québec et ailleurs. Pas beaucoup plus que ça ». Bernice pour sa part se souvient d’avoir dessiné le logo des archives. Un magnifique labyris inspiré de celui des amazones, en forme de plume pour laisser l’encre de nos traces sécher sur le fil de l’Histoire, y imprimer la nôtre, pour tendre le relais aux générations d’amantes rebelles à venir. Danièle nous ayant quitté prématurément, je n’ai pu lui poser la question. Je l’avais connue très jeune dans un collège de filles où elle avait obtenu l’abolition du port de l’uniforme au profit des jeans et cie. C’était pour moi toute une révolution ! Je l’avais retrouvée une décennie plus tard, autour de ce projet des archives. Même si j’étais de la faction féministe et elle de la faction radicale, j’admirais la rigueur et la clarté de sa pensée qui n’a d’ailleurs pas pris d’âge. Zaïda et Bernice s’étaient pour leur part qualifiées de « lesbiennes tout court » quand nous avions eu ce débat en début de projet.

Si l’ouverture officielle des archives Traces date du 14 avril 1983, nous avions commencé à y penser en 1982, à la suite de plusieurs voyages que nous avions fait les unes et les autres. Nous souhaitions recueillir des documents provenant d’ici et d’ailleurs et développer une solidarité lesbienne internationale. Après plusieurs mois à nous réunir et discuter des aspects à la fois techniques et idéologiques du projet, nos routes se sont séparées, quelques mois seulement après l’ouverture. Pour certaines, le projet des archives devait intégrer la gestion du restaurant « La Kahéna » qui était juste à côté sur la rue de Lanaudière. Pour les autres non. Les archives ont donc été hébergées ailleurs, jusqu’à ce qu’elles soient réanimées par une seconde collective à l’école Gilford en 1986. Et plus tard, par d’autres encore à la fermeture de l’école.

Près de vingt ans plus tard, vers les années 2000, heureuse de savoir les archives toujours « actives », je donne une caisse de documents, témoins de mes propres engagements au sein de la communauté. Journées de visibilité lesbienne, émissions de radio, projet d’association, articles publiés dans diverses revues, artéfacts du festival du Michigan, macarons, affiches de manifs, danses, spectacles, etc. Et puis les souvenirs s’estompent, avec le temps, va, tout s’en va.

Une autre vingtaine d’années plus tard, en 2022, c’est en consultant mes propres documents donnés aux archives et en relisant les cahiers de bord de notre collective que plusieurs événements oubliés me reviennent en mémoire, en préparation de la journée anniversaire de la création des archives lesbiennes québécoises.

Au moment de la fondation des archives, je n’aurais pas pu penser que cela me permettrait à moi aussi, 40 ans plus tard, de retrouver la mémoire des souvenirs enfouis. Pour ça, je suis reconnaissante envers toutes celles qui ont contribué au fil des décennies à garder les archives vivantes et accessibles. Je me réjouis à l’avance de la journée qui soulignera, dans le plaisir de nos retrouvailles, le quarantième anniversaire de la création  des archives lesbiennes. Une belle occasion de nous rafraîchir la mémoire individuelle et collective et de jouer à « Te souviens-tu? » pour mieux pouvoir répondre « Oui, je me souviens ».

Signé Anne M.


Les Archives lesbiennes du Québec vous invitent à redécouvrir Audre Lorde

Une affiche de la vidéo de  Suzanne Vertu intitulé  Audre Lorde : le racisme, l’écriture et la construction du pouvoir et le livre The Cancer Journals.

Pour marquer le mois de l’histoire des noirs, nous avons exploré la collection des archives afin de vous proposer une lecture inspirée qui met en valeur la contribution des lesbiennes noires aux mouvements féministes et antiracistes.

Poétesse, écrivaine et militante féministe et lesbienne, Audre Lorde (1934-1992) était engagée contre le racisme, le sexisme et l’homophobie. Elle fut d’ailleurs l’une des premières militantes à populariser la notion de l’intersectionnalité, comme on l’appelle aujourd’hui. Dans ses écrits et discours, elle critiquait l’échec du féminisme blanc qui, à l’époque, était largement préoccupé par l’effacement des différences comme la classe sociale et la race. Pour Audre Lorde, la reconnaissance des différences pour soi-même et entre femmes était primordiale. L’affirmation de ses identités de femme, femme noire, lesbienne, et mère forme l’essence même de sa pensée et de son militantisme. En 1984, elle publia un essai intitulé The Master’s Tools Will Never Dismantle the Master’s House (les outils du maître ne serviront jamais à démanteler la maison du maître) dans lequel elle écrit qu’il est impossible de travailler à l’intérieur de systèmes oppressifs pour vaincre l’oppression.

Le militantisme et la pensée d’Audre Lorde ont naturellement influencé des mouvements féministes à l’extérieur des États-Unis. Ainsi, bien que ses livres ne soient pas tous traduits en français, les articles dans notre collection montrent bien l’empreinte de sa pensée et de ses écrits sur les mouvements féministes et lesbiens du Québec. On y retrouve non seulement quelques-uns de ses livres en anglais, mais aussi une affiche de la vidéo de  Suzanne Vertu intitulé  Audre Lorde : le racisme, l’écriture et la construction du pouvoir. Cette vidéo rend compte de sa conférence à La Foire du livre féministe de 1988 à Montréal.  Quant au document Hommage à Audre Lorde que l’on retrouve aussi aux archives, il est signé par plusieurs lesbiennes féministes à la suite de son décès en 1992, les signataires y affirment leur fidélité à la lutte contre le racisme, le sexisme et l’homophobie. La revue Treize en 1993 publia un hommage à Audre Lorde, et la maison d’édition Trois a également publié des traductions de quelques-uns de ses livres.

Nous vous invitons à découvrir (ou à redécouvrir!) l’œuvre de cette femme remarquable dont les écrits continuent à influencer l’évolution de l’antiracisme et du féminisme. Vous pouvez consulter sur place les livres (et autres matériaux) dans notre collection durant les heures de permanence. Si vous désirez plonger dans son univers, voici quelques pistes à suivre.

Vous avez des œuvres d’Audre Lorde que vous aimeriez offrir aux Archives lesbiennes du Québec? Écrivez-nous à archiveslq@yahoo.ca.  

En librairie :

Les livres d’Audre Lorde sont disponibles en anglais dans la plupart des librairies, y compris la librairie féministe de Montréal, L’Euguelionne.

Les versions en français ne sont pas disponibles pour l’instant, nous avons cependant communiqué avec l’équipe de la librairie L’Euguelionne et des recherches sont en cours pour voir s’il serait possible de les commander.

En bibliothèque :

La BANQ a dans sa collection plusieurs œuvres d’Audre Lorde, y compris deux traductions (Journal du cancer et un souffle de lumière; Zami : une nouvelle façon d’écrire mon nom), ainsi que l’édition de la revue Treize consacré à Audre Lorde.

Dans la collection des Archives lesbiennes du Québec :

  • Uses of the Erotic: The erotic as power
  • The Cancer Journals
  • A burst of light
  • Our Dead Behind Us

Pour en savoir plus sur Audre Lorde :

Audre Lorde, la poète féministe qui changeait la portée des mots

Audre Lorde, la poésie n’est pas un luxe

Audre Lorde, poètesse humaniste